ARCANES DES

TONALES …

A LA QUESTION DE IULIUS SUR FLLC

Ø En fait, je me demandais comment prononcer un ton bas tombant. Il est difficile de descendre la voix sur un ton bas. Je comprends pour le ton haut tombant.
Mais pour le « ton tombant » tout court, que peut-il être si ce n'est haut ?

Ø SIVA NATARAJA REPONDAIT ,

DOCTE DE SIMPLICITE :

Bon, je pourrais rentrer dans les détails des différents systèmes de tons que les langues du monde possèdent, je viens enfin d'en comprendre les subtilités, mais ce serait assez long.


En gros, il existe deux types de tons : les
tons à registres (qui se divisent en tons ponctuels et tons modulés), et les tons mélodiques.

Dans le premier système de tons, ce qui importe c'est la *hauteur* (seule : tons ponctuels, ou modulée, tons modulés).

Dans le deuxième, c'est la modulation, indépendamment de la hauteur.

Si une langue utilise des tons à registres (ponctuels seuls ou conjointement à la modulation), elle n'utilise pas de tons mélodiques et vice-versa.



Exemples :

1. Registres
__________

A) Tons ponctuels


Une langue comme le ngbaka (Adamawa oriental), possède trois registres : soit la voix est aiguë (accent aigu dans la notation), soit elle est moyenne (macron), soit basse (accent grave), quelle que soit la hauteur effective. Il suffit de prononcer plus ou moins aigu, peu importe le point de départ et peu importent les inflexions de la voix.

Ainsi : ́, « animal » {haut} ; sɔ̄, « chasser » {moyen} ; ̀, queue » {bas} (dans le premier exemple, il ne faut pas considérer que la voix monte parce qu'il y a un accent aigu. La voix est simplement aiguë etc.).

B) Tons modulés

Il peut y avoir modification de la hauteur musicale en passant d'un registre à un autre sur une même syllabe. Ce qui est pertinent, cette fois-ci, c'est tout autant la hauteur que la modulation.

Ainsi, toujours en ngbaka, il existe, outre les tons ponctuels cités, des modulations sur une même syllabe :


– bas puis haut : `´ (modulation montante haute)
– bas puis moyen : `ˉ (mod. montante basse)
– haut puis moyen : ´ˉ (mod. descendante haute)
– haut puis bas : ´` (mod. descendante basse)
– bas puis haut puis bas : `´` (mod. complexe montante-
descendante)
– haut puis bas puis haut : ´`´ (mod. complexe descendante-
montante)



Ainsi
mbóòó.ndí [˜bo⁵¹⁵˜di⁵] (où ˜ indique une prénasalisation normalement notée par une nasale en exposant, et les chiffres le contour de la voix, cinq étant le plus aigu, un le plus grave), « mangouste rayée ». La notation de tels tons est assez gênante puisqu'elle laisse croire qu'il y a, dans cet exemple, trois phonèmes [o] à la suite, alors qu'il n'y en a qu'un seul, de même durée qu'une voyelle comme le [i] aigu de la syllabe suivante.

Autre exemple :
kpáā [kp͡a⁵³] (kp͡ est une occlusive labio-vélaire, c'est-à-dire que [k] et [p] sont prononcés en même temps et non à la suite), « feuille », a la même durée que kpá, «tranquille », ou que kpáàá [kp͡a⁵¹⁵], « un ».


2. Tons mélodiques
________________


Dans ces tons, « le trait pertinent est l'absence ou la présence de mélodie et ses variations, et non la hauteur musicale elle-même dont les (...) registres ne sont pas différenciatifs » (_Initiation à la phonétique_, J.M.C. Thomas, L. Bouquiaux et F. Cloarec-Heiss, dont j'emprunte les exemples).

On parle dans ces langues de
« tonèmes », des variations mélodiques dont le système de base oppose un tonème montant à un tonème descendant. L'absence de mélodie est elle aussi pertinente, on parle dans ce cas de « tonème égal ».

Si l'on prend le mandarin, l'on analyse le système ainsi :


◆ Ton 1 ==> tonème égal (absence de mélodie, quelle que soit
la hauteur) [ ˉ ] ;
◆ Ton deux ==> tonème montant [/] ;
◆ Ton trois ==> tonème complexe descendant puis montant [\/] ;
◆ Ton quatre ==> tonème descendant [\].


(sans parler du demi troisième ton)


On enseigne pourtant dans les grammaires une opposition de registres, qui pourrait laisser croire que le mandarin utilise des tons à registres modulés. Or, dans la pratique, la mélodie seule suffit à se faire comprendre (attention, je ne parle pas du cantonais), ce qui est impossible dans des langues comme le
ngbaka.

Le ton un, par exemple, doit avant tout être plat, et non pas haut. En fait, à ces mélodies peuvent se superposer des
caratéristiques secondaires :

point de départ de la mélodie (en birman : ton descendant
partant d'un niveau bas s'opposant à un ton descendant partant
de plus haut) ;

distance entre le départ et l'arrivée (en mandarin : un ton deux
est caractérisé par une grande différence entre le point de
départ et le point d'arrivée, ce qui se manifeste par un ton
montant partant nécessairement d'assez bas pour arriver haut,
pour éviter que la voix ne s'étrangle. C'est un ton qui demande
un grand ambitus, et non un point de départ fixe)

durée de la réalisation de la mélodie (en cantonais : ton
descendant bref, moyen ou long) ;

variation de l'intensité vocale (dans certains usages
mandarins) ;

suppression brutale de l'intensité (glottalisation finale de la
mélodie, ou « étranglement » de la voix ; en
vietnamien).



Faire la différence entre des tons modulés et mélodiques est parfois complexe. Ce qui est pertinent, c'est qu'un ton modulé ne peut exister que dans un système de registres indépendants de toute modulation. Or, le mandarin, par exemple, n'a pas de registres purs. Ses tons sont donc mélodiques, mais l'écart entre le point de départ et celui de l'arrivée peut avoir une certaine importance, cependant secondaire.

Ainsi, en vietnamien :


Ton égal (ou absence de mélodie) ==> ô [ʔōː], « parapluie » ;
Ton descendant ==> bà [ɓàː], « grand'mère » ;
Ton descendant glottalisé ==> lạ [làːˀ], « étrange » ;
Ton montant ==> cái [káʲː], « chose » ;
Ton complexe descendant montant ==> tỏi [tǒʲ], « ail » ;
◆ Ton complexe descendant montant glottalisé
==> lễ [lěːˀ],
« cérémonie »


au pinyin ; on devrait en fait noter
[ʔoː], [ɓâː], [lâːˀ], [kǎʲː] etc.,
ce qui est moins clair >

⁂ ⁂ ⁂ ⁂ ⁂ ⁂ ⁂



Donc, pour répondre à votre question, rien n'empêche un ton d'être descendant et bas, dans le cas d'un système à registres modulés. Dans le cas des tons mélodiques non plus, rien n'interdisant un tonème descendant d'avoir un point de départ bas. Mais ce point de départ ne doit pas être *trop* bas... Un tonème descendant n'a pas de point de départ imposé, tout dépend de la langue en question, dans les limites de la tessiture du locuteur.

Le mandarin est spécial en cela qu'il réclame pour le ton 4 un grand ambitus, qui se manifeste, tessiture oblige, par un point de départ assez haut.

Espérant avoir un peu clarifié les choses,

Siva

jvg, 26.7.01