-Bonjour, dit le petit prince.
-Bonjour,
dit l'aiguilleur.
-Que
fais-tu ici? dit le petit prince.
-Je
trie les voyageurs, par paquets de mille, dit l'aiguilleur. J'expédie les
trains qui les emportent, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.
Et
un rapide illuminé, grondant comme le tonnere, fit trembler la cabine
d'aiguillage.
-Ils
sont bien pressés, dit le petit prince. Que cherchent-ils?
-L'homme
de la locomotive l'ignore lui-même, dit l'aiguilleur.
Et
gronda, en sens inverse, un second rapide illuminé.
-Ils
reviennent déjà? demanda le petit prince...
-Ce
ne sont pas les mêmes, dit l'aiguilleur. C'est un échange.
-Ils
n'étaient pas contents, là où ils étaient?
-On
n'est jamais content là où on est, dit l'aiguilleur.
Et
gronda le tonnaire d'un troisième rapide illuminé.
-Ils
poursuivent les premiers voyageur demanda le petit prince.
-Ils
ne poursuivent rien du tout, dit l'aiguilleur. Ils dorment là-dedans, ou bien
ils ba^illent. Les enfants seuls écrasent leur nez contre les vitres.
-Les
enfants seuls savent ce qu'ils cherchent, fit le petit prince. Ils perdent du
temps pour une poupée de chiffons, et elle devient très importante, et si on la
leur enlève, ils pleurent...
-Ils
ont de la chance, dit l'aiguilleur.
Nous en étions au huitième jour de ma panne
dans le désert, et j'avais écouté l'histoire du marchand en buvant la dernière
goutte de ma provision d'eau:
-Ah!
dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, ts souvenirs, mais je n'ai pas
encore réparé mon avion, je n'ai plus rien à boire, et je serais heureux, moi
aussi, si j pouvais marcher tout doucement vers une fontaine!
-Mon
ami le renard, me dit-il...
-Mon
petit bonhomme, il n s'agit plus du renard!
-Pourquoi?
-Parce
qu'on va mourrir de soif...
Il
ne comprit pas mon raisonnement, il me répondit:
-C'est
bien d'avoir eu un ami, même si l'on va mourrir. Moi, je suis bien content
d'avoir eu un ami renard...
Il
ne mesure pas le danger, me dis-je. Il n'a jamais ni faim ni soif. Un peu de
soleil lui suffit...
Mais
il m regarda t répondit à ma pensée:
-J'ai
soif aussi... cherchons un puits...
J'eus
un geste de lassitude: il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans
l'immensité du désert. Cependant nous nous mîmes n marche.
Quand
nous eûmes marché, des heures, en silence, la nuit tomba, et les étoiles commencèrent
de s'éclairer. Je les apercevais comme dans un rêve, ayant un peu de fièvre, à
cause de ma soif. Les mots du petit prince dansaient dans ma mémoire:
-Tu
as donc soif aussi? lui demandai-je.
Mais
il n répondit pas à ma question. Il me dit simplement:
-L'eau
put aussi être bon pour le coeur...
Je
ne compris pas sa réponse mais je me tus... Je savais bien qu'il ne fallait pas
l'interroger.
Il
était fatigué. Il s'assit. Je m'assis auprès de lui. Et, après un silence, il
dit encore:
-Les
étoiles sont belles, à cause d'une fleur que l'on ne voit pas...
Je
répondis "bien sûr" et je regardai, sans parler, les plis du sable
sous la lune.
-Le
désert est beau, ajouta-t-il...
Et
c'était vrai. J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur une dune de sable.
On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en
silence...
-Ce
qui embellit le désert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque
part...
Je
fus surpris de comprendre soudain ce mystérieux rayonnement du sable. Lorsque
j'étais petit garçon j'habitais une maison ancienne, et la légende racontait
qu'un trésor y était enfoui. Bien sûr, jamais personne n'a su le découvrir, ni
peut-être même ne l'a cherché. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison
cachait un secret au fond de son coeur...
-Oui,
dis-je au petit prince, qu'il s'agisse de la maison, des étoiles ou du désert,
ce qui fait leur beauté est invisible!
-Je
suis content, di-il, que tu sois d'accord avec mon renard.
Comme
le petit prince s'endormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route.
J'étais ému. Il me semblait porter un trésor fragile. Il me semblait même qu'il
n'y eût rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, à la lumière de la
lune, ce front pâle. ces yeux clos, ces mèches de cheveux qui tremblaient au
vent, et je me disais: ce que je vois là n'est qu'une écorce. Le plus important
est invisible...
Comme
ses lèvres entr'ouvertes ébauchaient un demi-sourire je me dis encore: "Ce
qui m'émeut si fort de ce petit prince endormi, c'est sa fidélité pour une fleur,
c'est l'image dune rose qui rayonne en lui comme la flamme d'une lampe, même
quand il dort..." Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien
protéger les lampes: un coup de vent peut les éteindre...
Et,
marchant ainsi, je découvris le puits au lever du jour.