LE CHINOIS:
UNE LANGUE MONOSYLLABIQUE ?
Jean-Paul
ouvrit le bal en ces termes, vers la mi-mars 2002 et sur fllc:
> Tous les mots chinois s'écrivent par un seul
idéogramme, inscrit dans un carré virtuel; même
lorsqu'ils sont constitués par la juxtaposition de plusieurs
idéogrammes, ça ne fait qu'un seul idéogramme.
> Quand à la prononciation monosyllabique des mots chinois
-langue que je ne parle pas- c'est une notion qui est clairement
citée dans tous les ouvrages;il est possible que tu nous cites
quelques exceptions, qui viendront confirmer la règle.
Je vous présente mon ami Elie Arié, qui nous assure
sans désemparer et de façon répétée
que tous les mots chinois ne
comportent qu'un seul sinogramme et donc une seule syllabe.
Il s'agit d'un homme qui n'admet aucune contradiction, car il met en
avant une érudition le plaçant hors de portée du
vulgus pecum (en
français: vulgaire pékin).
Y aurait-il parmi vous quelqu'un à posséder quelques rudiments de la langue chinoise :-)
Elie:
Je vous demande de bien vouloir excuser mon ami Jean-Paul (en réalité,
Jean-Paul de son vrai nom), qui est incapable de faire la distinction entre une langue et une écriture.
Sa dernière phrase doit être inversée: ce que j'ai
lu (je ne parle pas
chinois, je m'intéresse uniquement à l'histoire des
écritures) c'est que le fait que les mots chinois ne
comportent qu'une syllabe est une des raisons
qui explique que chaque mot ne soit écrit que par un seul
idéogramme (mais ce n'est pas la seule raison: l'autre
étant qu'une écriture
idéographique permet aux gens parlant des langues chinoises
différentes de s'écrire entre eux, ce qui ne serait pas
le cas avec une écriture plus
phonétique).
Il est probable que si les mots chinois étaient en majorité polysyllabiques, les chinois auraient éprouvé le besoin d'aller au-delà de un mot = une syllabe (mais ce n'est qu'une théorie).
Gianni:
C'est faux et archi-faux de dire (ou d'écrire) que les mots
chinois sont monosyllabiques. Je pense même que la plupart des
mots chinois sont
composés de deux syllabes.
En revanche, le chinois classique (langue davantage écrite que
parlée) admettait sans doute davantage de mots monosyllabiques.
Dans tous les cas, on se référera utilement au Que Sais-je "L'Écriture chinoise" de Viviane Alleton.
Elie :
Et bien voilà!
Ca justifie donc probablement l'hypothèse (que j'avais
recopiée) expliquant pourquoi l'écriture chinoise
s'était arrêtée à l'idéogramme.
A la limite, si quelqu'un s'est planté, c'est M. James
Février, Directeur
d' Etudes à l' Ecole Pratique des Hautes Etudes, (ce qui est
tout de même étonnant, c'est pourquoi je voudrais des
confirmations) d'où était extrait
le passage suivant, que j'avais simplement recopié:
"En chinois, le mot est une sorte d'atome
irreductible. Dans la
plupart des cas, il peut être aussi bien verbe que nom ou
adjectif. La phrase chinoise
est constituée par la juxtaposition de monosyllabes dont la
fonction grammaticale est déterminée et indiquée
uniquement par la place qu'ils
occupent. Chacun de ces monosyllabes est affecté d'un ton,
caractérisé par la modulation de la voix durant
l'émission du son".
Et, de toutes façons, ceci ne concerne en rien l'écriture
chinoise, mais la langue chinoise, domaine dans lequel je ne
prétends rien connaître.
Suite de citations (par Google):
"Comme en Corée,
l'adaptation de l'écriture chinoise à la langue
japonaise a été la suite logique de la
pénétration du bouddhisme au Japon - faisant naître
un besoin de textes - au milieu du VIe siècle.
Comme le coréen, la langue japonaise n'est pas monosyllabique.
L'adaptation de l'écriture d'une langue monosyllabique à
une langue qui possède un grand nombre de mots longs n'est pas
simple."
"À la différence l'écriture alphabétique dont les éléments indiquent peu ou prou la prononciation, les caractères chinois ne donnent pas d'indication directe sur les changements phonétiques qu'a connus la langue au cours de son histoire. L'utilisation de pictogrammes et d'idéogrammes en écriture chinoise reflète une structure monosyllabique dans laquelle chaque caractère a un sens. "
"Le vietnamien , parlé par 70 millions de locuteurs au
Viêt-Nam ( 75 millions avec la diaspora) appartient à la
famille austro-asiatique
. C'est une langue monosyllabique comme le chinois . "
"Le chinois est une langue
à tons. Chaque syllabe est pourvue d'un ton qui
lui confère des significations différentes. Les mots sont
pour la plupart monosyllabiques ou dissyllabiques. A chaque syllabe
correspond un
caractère, appelé " idéogramme " qui n'est pas
alphabétique . L'écriture
chinoise est, par conséquent idéographique: à
chaque signe
correspond une idée. C'est aussi une langue monosyllabique.
Ainsi, chaque mot ou morceau de mot a une
seule syllabe, donc, un seul symbole."
"Le fondement monosyllabique de la langue chinoise a fortement
contribué
à la conservation de ce mode d'écriture, tandis que les
autres grandes civilisations s'orientèrent vers la
phonétisation, c'est- à-dire la
description de la parole plutôt que des concepts.
L'écriture chinoise n'a pas totalement échappé
à ce phénomène. Néanmoins, le mot chinois,
en tant que monosyllabe, est resté intégré à cette
base visuelle (pictographique) sans avoir recours à des signes
proprement phonétiques (ou alphabétiques).
"
"(L'écriture coréenne) C'est ainsi qu'elle s'est développée pendant des
millénaires sous l'influence quasi exclusive de la culture
chinoise, dont elle a emprunté le système d'écriture. Or, le génie de la langue
chinoise - monosyllabique, tonale, dénuée de flexions -
est à l'opposé du génie de la langue
coréenne
- polysyllabique, agglutinante "
"Rappelons tout d'abord quelques traits de la langue nationale en Chine, le putonghua, dont l'existence officielle date d'après 1949. C'est une langue dans laquelle chaque syllabe qui porte un ton possède un sens (ceci dans l'immense majorité des cas). En chinois, donc, les morphèmes sont monosyllabiques. L'écriture chinoise n'est ni alphabétique ni syllabique, mais utilise des signes, composés à partir d'un nombre restreint de traits (une dizaine). On appelle généralement ces signes caractères, et parfois sinogrammes. "
"Les caractères sont des formes graphiques indépendantes, isolées matériellement les unes des autres par un espace, et invariables en ce sens que leur tracé ne change pas, quelles que soient les formes environnantes " (Viviane Alleton, L'écriture chinoise).
Les traits qui les forment sont tracés selon un ordre très strict et peuvent apparaître plusieurs fois dans un même caractère. On trouve des caractères d'un seul trait, et certains peuvent atteindre plus de trente. Quel que soit le nombre de ses éléments, chaque caractère s'inscrit dans un carré virtuel. On distingue formellement deux grands types de caractères, les simples et les composés ; les premiers représentent une forme graphique minimum ayant un sens. Les seconds peuvent être décomposés en au moins un caractère simple et un autre élément graphique . Au cours de l'histoire, ont été proposés divers systèmes destinés à classer l'ensemble des caractères selon des catégories sémantiques définies par des caractères simples, les "clés", entrant dans leur composition . La plupart des caractères composés possèdent aussi un ensemble de traits ayant une valeur phonétique. Chaque morphème est écrit à l'aide d'un caractère. Quand on parle de langue monosyllabique pour le chinois, il doit être bien entendu que ceci ne signifie pas qu'il n'y a que des mots d'une seule syllabe.
La plupart des mots du chinois courant sont formés de mono-, di- et trisyllabes. Dans les terminologies scientifiques et techniques, on rencontre en outre un nombre significatif de termes de quatre syllabes et davantage. Quant à la structure la plus courante des mots nominaux, elle est du modèle déterminant-déterminé, où le déterminé est le plus souvent un nom, tandis que le déterminant peut avoir une valeur nominale, mais aussi adjectivale ou verbale. Ainsi, construits sur la base de 叶 ye, feuille, on trouve 小叶 xiaoye (littéralement, petite feuille) : foliole, 子叶 ziye (semence-feuille ou feuille de la semence) : cotylédon".
[ NDC: Explication très claire par Yahoo Encyclopédie:
À l'origine, l'écriture
chinoise sert à communiquer avec les divinités. Les signes qui la
composent sont des représentations de la réalité, le premier moyen de
représenter le réel étant de dessiner les objets: ces dessins, qui
prennent une forme codifiée, sont appelés pictogrammes. L'écriture
actuelle en compte environ 200, répartis en six familles sémantiques: |
La première famille
comporte les pictogrammes représentant les personnes : |
l'homme debout, 人 |
l'homme accroupi, de face,
de profil ou couché,ㄕ |
la femme, 女 |
l'enfant, 子etc. |
La deuxième famille
comporte les pictogrammes représentant les parties du corps : |
le visage, 面 |
la bouche, 口 |
l'œil, 目 |
la main, 手 |
Le pied, 止 |
Le cœur,
心etc. |
La troisième famille
comporte les pictogrammes représentant les objets ou les phénomènes de
la nature : |
la pluie, 雨 |
la montagne, 山 |
la rivière, 川 |
l'eau, 水 |
le feu, 火etc. |
La quatrième famille
comporte les pictogrammes représentant les plantes : |
l'arbre, 木 |
le bambou, 竹etc. |
La cinquième famille
comporte les pictogrammes représentant les animaux: |
le bœuf, 牛 |
le rat, 鼠 |
la chouette, 瞿 |
le tigre 虎. |
La sixième famille
comporte les pictogrammes représentant les objets manufacturés : |
la maison, 户 |
l'outil, 工 |
le tripode, 鼎 |
l'assiette 皿. |
Les idéogrammes
Les pictogrammes deviennent ensuite des éléments de signes composés,
qui désignent des notions plus complexes, actions, sentiments...: |
la main tenant un bâton signifiera «frapper» 支; |
l'homme et la montagne, un «ermite» 仙; |
le soleil entre deux herbes, le «crépuscule»莫 ; |
ou encore le cœur et la chouette, «craindre» 懼 . |
Seuls les signes de ce type méritent l'appelation «idéogrammes»,
abusivement étendue à tous. |
Les idéo-phonogrammes
Ces
idéo-phonogrammes, en
nombre encore assez restreint, se sont trouvés investis de sens dérivés
de plus en plus nombreux, d'où la création de sinogrammes dérivés, par
ajout d'un élément sémantique puisé dans la réserve des pictogrammes.
Par exemple, le crépuscule, prononcé [mo], a aussi le sens de «désert»,
de «tombeau» et de «rideau»: |
au sinogramme de départ, 莫 |
|
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|
|
|
Toute cette série de sinogrammes dérivés se prononce également [mo].
Aujourd'hui, les trois sinogrammes dérivés apparaissent comme formés
d'un élément composant sémantique et d'un élément composant phonétique,
[mo]: on les appelle «idéo-phonogrammes». La plupart des sinogrammes
sont ainsi composés d'éléments premiers, les pictogrammes, et on
continue d'en créer de cette façon. |
(Incise Mu, pas Mo pour le rideau.
Et bien d'autres exemples:
摹 avec la "vraie main", copier
膜 avec la lune simplifiée, zhongwen parle de la viande (肉), adorer, vénérer
谟 avec la parole simplifiée, planifier, délibérer
馍 avec la clef simplifiée de la nourriture (traditionnel 饃), pain cuit à la vapeur
嫫 avec la clef de la femme, Momu, sorte de déesse (?)
模 avec la clef de l'arbre, modèle, moule
糢 avec la clef du riz, petits gâteaux de riz
寞 avec la clef du toit, silencieux, calme
蓦 avec la clef du cheval, tout à coup
镆 avec la clef du métal, épée
貘 avec la clef dite des "insectes rampants" - en fait pas mal d'animaux - , le léopard ou le tapir ...)]
(Retour aux citations Google)
"Composée d'idéogrammes, le chinois est une
écriture de signes. Chaque caractère est monosyllabique
et possède son ou ses sens propres.
Actuellement environ 7000 caractères sont en usage, mais avec 3
à 4 mille caractères apprit un écolier pourra lire
99% des textes qu'il rencontrera.
Le caractère n'est ni plus ni moins qu'un mot. "
"Du point de vue plus circonscrit de la linguistique, le chinois est
monosyllabique, chaque caractère correspond à une syllabe
de la chaîne
parlée et à une unité de sens. La tendance
moderne au dissyllabisme n'a
pas modifié la parfaite indépendance de chaque terme ; la
forme de chaque caractère est fixe, celui-ci ne subit aucune
flexion grammaticale, ce qui signifie qu'il est possible de l'étudier, le mémoriser
pour son sens, isolément, sans être relié à
un autre. "
"Une situation similaire peut être observée avec
l'écriture chinoise
qui, pendant les 4 000 ans de son histoire, n'a subi comparativement
que des changements mineurs. C'est déjà fondamentalement
une
écriture par mots, ou mieux par concepts, avec tous les
désavantages et les avantages que comportent de tels
systèmes. Le désavantage est le grand
nombre de signes nécessaires - 50 000 en tout, alors que pour
l'usage quotidien 2 000 à 4 000 peuvent suffire. L'avantage est
qu'en tant qu'écriture
conceptuelle ne dépendant pas du langage oral, elle peut
être lue sans tenir compte, et même
sans avoir connaissance, de la langue orale. Ceci en fait, à
travers l'histoire chinoise, le moyen de communication idéal
dans un empire où les peuples parlaient un nombre important de
dialectes, même s'ils
étaient gouvernés par le même centre. Pour les
administrateurs comme pour les érudits, l'écriture
chinoise était le moins ambigu
des moyens de communication (et donc le plus simple). Il n'était
pas non plus nécessaire
pour le langage écrit de suivre le développement du
langage oral ; ainsi, les Chinois modernes n'ont pas besoin de
connaître l'ancienne prononciation
des mots pour lire les textes classiques"
"Le principe fondamental de l'écriture chinoise est un principe sémantique:
chaque signe d'écriture, ou sinogramme, a d'abord un sens, la
prononciation qu'on lui attribue variant suivant les régions et
les époques."
Nicola:
Le chinois du VIe siècle était monosyllabique, maintenant
il ne l'est pas.
Et... quelle est la définition de "mot"? Il n'y a pas une définition
universelle. En chinois il y a "cí" et "zì": "cí"
est une unité sémantique, "zì" est une unité graphique. Ceux qui écrivent "la langue
chinoise est
monosyllabique" confondent les deux.
Il est un fait indiscutable :
un "idéogramme", ou plutôt un
caractère chinois, ne peut représenter qu'une syllabe.
Mais un mot n'est pas forcément composé d'un seul
caractère.
Par exemple, les caractères lao 老 veut dire "vieux", et shi 是 veut dire
"être" (en gros). Ce sont deux mots monosyllabiques. Mais 老是 laoshi, disyllabique, se traduit non pas par "être vieux" mais par "toujours".
C'est
un exemple de mot disyllabique, composé de deux caractères mis l'un à côté de l'autre.
Et c'est considéré comme un seul mot, dont la signification ne peut pas complètement se déduire
de l'addition des deux syllabes.
[NDC - Pas très convaincant, me semble-t-il, l'exemple
de Nicola. Le fait que "vieille existence" signifie
"toujours" n'a rien d'extraordinaire.
De même 老师, professeur, se compose lui aussi du caractère signifiant âgé,老, mais accompagné de 师,maître. Maître âgé = professeur, pas illogique.
Siva, deuxième moitié de mai 2002:
Je regrette de ne pas
avoir participé à la
discussion sur le monosyllabisme chinois, discussion qui m'intéresse grandement. J'ai tout de même
envie d'apporter un grain de sel a posteriori. Je lis :
" Le fait que "vieille existence" signifie
"toujours" n'a rien d'extraordinaire. De même 老师, professeur, se compose lui aussi du caractère
signifiant âgé,老, mais accompagné de 师,maître. Maître âgé =
professeur, pas illogique."
À quoi je réponds : oui, mais si le « mot » 老师 n'est
pas
immotivé (l'on comprend le sens du composé à
partir des ses constituants, les caractères), il n'est pas
possible de traduire par « vieux professeur »,
car un老师 peut être jeune, ce qui prouve bien que le
composé ne porte pas le même signifié que la juxtaposition des deux caractères,
exactement comme 東西, que l'on ne peut comprendre que comme « chose » et non « est et
ouest ».
Bref, 老师 est un mot de deux syllabes donc une entrée indépendante
dans le lexique car l'adjectif 老 n'y
est pas signifiant, de même qu'en français une salle de
bains peut très bien ne pas comporter de baignoire. «
Salle de
bains » est un mot composé possédant un
signifié global, et non une juxtaposition de signifiés indépendants ; 老师
possède un signifié dont la
composition est encore visible. C'est donc un mot composé, mais un lexème.
JVG
précise sa pensée:
Ce que disait Nicola à
propos de 老是,
"ancien exister", toujours, c'est
"considéré comme un seul mot, dont la signification ne
peut pas complètement se déduire de l'addition des deux
syllabes."
On peut certes pinailler sur "complètement". Loin de moi l'idée de
nier que 老是 ait un sens différent de 老+是.
Ce que je souhaitais exprimer, c'était que le sens de la paire se déduisait assez facilement de la conjonction des sens des unités (comme salle de bain, ou chambre à coucher ... )
Pas besoin d'être grand clerc pour deviner de quoi il retourne si l'on comprend les composants). Et que comme exemple de dissyllabisme signifiant, il aurait pu trouver mieux.
Vous citez 东西 est-ouest, sens "chose". Ceci est un très bon exemple d'évolution, ou de "tout différent de la somme des parties". Il faudrait sans doute aller assez loin dans l'analyse pour comprendre pourquoi 老是 a pris cette signification.
On pourrait trouver plein d'analogies en français, sur le sens des mots composés: pourquoi vol-au-vent est-il ce qu'il signifie, par exemple, et pas une sorte de deltaplane, ou beau-fils ne s'accompagne-t-il d'aucun beau-neveu n'en déplaise à Kid Ordinn ?
Mon assertion se résumait ainsi à ce que le caractère dissyllabique de la langue chinoise devait se démontrer à partir non pas des associations de caractères résultant par l'usage en un mot composé de contenu à peu près évident, mais bien de la création d'unités signifiantes dont le sens est sans rapport direct ou immédiat avec les éléments de base.
Quant à lexème, je ne
sais pas trop. TLFI:
"A. LING. Unité minimale de signification
appartenant au lexique. Synon.morphème lexical. B. DOCUMENTOL. Lexème
documentaire, ou p. ell. du déterm., lexème. Unité appartenant à un lexique
documentaire"
Aucune entrée de premier rang d'un dictionnaire chinois n'est dissyllabique.
Qu'il s'agisse de 老是 ou de 老师, c'est sous 老 qu'il faut chercher, et l'on y trouvera nombre d'expressions ou tournures qui, à
l'évidence, ne sont pas des mots, mais des phrases. Alors qu'en français,
tant vol-au-vent que chien-loup sont des entrées à part entière - au
contraire d'ailleurs de salle de bains ou chambre à coucher, d'où
l'importance du trait d'union pour le lexique.
Trouvé
au hasard d'Internet une définition qui me semble-t-il pourrait
cependant ... faire sens pour mieux cerner ce qu'il convient d'entendre
par dissyllabe en chinois: "le tout est perçu avant les
parties"
Élégant, non ? ]
Apokrif alors d'intervenir:
Vous pouvez consulter deux ouvrages de
John DeFrancis : _Visible Speech: The
Diverse Oneness of Writing Systems_ et _The Chinese Language: Fact and Fantasy_.
Cet auteur critique fortement la conception selon laquelle le chinois
est une
langue monosyllabique, et met en doute le caractère
idéographique de l'écriture en général
(chinoise ou autre); il accorde beaucoup d'importance aux aspects
phonétiques de l'écriture chinoise.
{ NDC - Voir cependant tons.htm
ou l'on explique que la langue chinoise écrite n'était pas faite pour être
dite ... }
JVG de rappeler:
Monosyllabique ou pas, le chinois ?
Vaste et récurrent sujet - du moins
sur fllc. Les contributeurs ne fréquentant qu'occasionnellement ces parages
(les autres aussi d'ailleurs, cela date d'un peu moins d'un an) peuvent se
reporter à
tons.htm
et notamment à ce qu'en disait Laurent Neyret.
Chaque syllabe graphique, représentée
par un sinogramme, a un sens. Le chinois est donc une langue monosyllabiques.
Chaque sinogramme est un mot.
Cependant, la complexité de la réalité dont le langage rend compte ne permet
pas d'associer de manière univoque sinogrammes et mots (au sens signifiant).
En d'autres termes, si chaque sinogramme est un mot, nombre de mots requièrent l'utilisation conjointe de deux (voire plus) sinogrammes, le tout étant alors différent de la simple juxtaposition des parties.
Il en est de même dans bien d'autres
langues, que l'on pense en français aux mots composés (un chien-loup est autre
chose qu'un hybride de chien et de loup, une tête de loup n'a pas grand chose
à voir avec le chef des grands canidés, la gueule-de-loup n'a pas de crocs
...), à ceux combinant deux racines - philosophie pourrait se dire en chinois
aussi amour-sagesse, ou plutôt sagesse amour, le chinois inverse souvent
l'ordre des concepts, si
une autre option n'avait pas été retenue -
sage-étude, zhexue), aux
préfixes-suffixes-désinences,
n'existant pas en chinois mais dont le sens est repris par l'adjonction
d'un
sinogramme permettant de créer nombre de mots disyllabiques
à partir de la même
racine, elle aussi mot de plein exercice.
Quant à la persistance des
sinogrammes en lieu d'alphabet (il existe cependant un alphabet chinois pour la
transcription phonétique, le BoPoMoFo,
et une méthode officielle de transcription avec tons, le pinyin) c'est
probablement en raison justement de la prédominance du monosyllabe dans la
langue.
Malgré leur volonté d'aller vers l'alphabétisation, les linguistes de la Chine populaire ont rapidement renoncé à la pinyinisation exclusive des sinogrammes qui, a l'écrit, aboutissait à des accumulations de syllabes homophones dont le sens collectif était trop souvent difficile à déterminer d'un coup d'oeil - alors que les sinogrammes sont eux directement identifiables.
Il y a moins de 400 combinaisons de phonèmes utilisées dans le parler de Pékin (voir shengyun.htm ) alors que l'on recense des dizaines de milliers de caractères ou sinogrammes différents, et qu'une personne de bonne éducation en reconnaîtra environ 6.000.
Les homophonies sont donc bien trop nombreuses dans la langue écrite pour s'accommoder d'une alphabétisation avec des unités signifiantes presque toutes mono ou disyllabiques, dès lors que l'on souhaite exprimer des pensées qui volent un peu plus haut que le ras des pâquerettes.
Nicola, cependant:
> Chaque syllabe graphique, représentée
par un sonogramme, a un sens. Le chinois est donc une langue monosyllabiques.
Chaque sinogramme est un mot. <
Je ne suis pas d'accord. Quelle est la définition de
"mot"? Si la définition est graphique, vous avez raison, mais si
"mot" est une unité sémantique, il n'est pas facile de donner une définition
universelle.
"Ke3" et "shi4" ont un sens,
"ke3shi4" n'a pas le même sens. Etc.
JVG:
Comprends pas la différence ... Ke3, comme vous dites, correspond à trois sinogrammes différents répertoriés par zhongwen, qui est loin d'être exhaustif, neuf en BoPoMoFo IME,
可 渴 哿坷岢堁敤嶱閜.
Shi4, 25 entrées pour Zhongwen, 59 par IME.
En somme, 1475 possibilités pour ke3shi4. Combien d'entre elles avec valeur sémantique propre, c'est-à-dire différente de ke3+shi4, je ne sais. Ce que je sais par contre, c'est que chacun des 25 ke3 et 59 shi4 a une réalité sémantique propre en chinois (avec plusieurs traductions possibles en français), et représente donc un mot - pas seulement un dessin.
Voir aussi pour le plaisir et se rendre
compte de la complexité
http://www.chinalanguage.com/dictionaries/
superbe page ...
Nicola, persistant:
Je ne suis toujours pas d'accord. Un
mot n'est pas "un sens" (c'est un morphème).
Et chaque mot a beaucoup de sens. "Cul" a un sens, "de" a un
sens, "sac" a un sens, mais "cul de sac" a un 4e sens.
Je croix que le problème est la définition de
"mot". Je suis d'accord avec Magda Abbiati et son "La lingua
cinese" (Cafoscarina, Venezia, 1992, pp.120-125):
{Traduction libre et compilatrice de l'italien}
"En chinois les unités
idientifiables à première vue sont les caractères et donc les syllabes et les
morphèmes [Nicola: qui ont un sens, mais
NE SONT PAS des mots!], qui représentent au
contraire pour nous [Nicola = les gens d'Europe] un concept technique et abstrait. Subdiviser un énoncé
chinois en syllabes et morphèmes est une opération quasi-mécanique, alors
qu'identifier les mots est bien plus problématique.
La difficulté vient du manque d'un protocole formalisé
d'indicateurs de l'unité "mot" (flexions et suffixes, séparations
dans le système graphique, accents). A cela s'ajoute le fait que le
statut des mots dépend étroitement du contexte. Les morphèmes en fait, pour
la quasi-totalité d'entre eux, ont la possibilité d'être utilisés comme
unités indépendantes, c'est-à-dire comme mots.
Cependant ces morphèmes peuvent se combiner entre eux pour former des mots composés, ils peuvent donc être des mots dans un certain contexte et dans un autre simplement des composants de mots.
xióng "ours", mao1 "chat", 熊猫 xióngmao1 "panda".
[NDC. Rien d'extraordinaire. Pourquoi ne pas parler de chat-ours en Chine, quand on a le poisson-chat chez nous, qui en chinois n'a rien de 猫鱼]
En outre, puisque les constructions qui agrègent les mots en unités syntaxiques (...) sont typologiquement celles qui lient les morphèmes dans la formation des mots composés, il n'est pas facile de distinguer les deux types d'unités, également parce que les cas ne sont pas rares de combinaisons de morphèmes qui se comportent dans tel contexte comme des constructions syntaxiques, et dans d'autres comme des structures morphologiques:
hóng "rouge" + lian3 "visage" = hóng lian3
"visage
rouge" ou hónglian3 "rougir"."
Gianni, abondant:
Je suis d'accord avec Nicola et avec le
texte cité, notamment :
> La difficulté vient du manque d'un protocole
formalisé d'indicateurs de l'unité "mot" (flexions et suffixes,
séparations dans le système graphique, accents). <
Malgré tous mes dictionnaires, je continue à avoir du mal
à traduire ne
serait-ce que les titres des ouvrages que mon père m'a
rapportés de Chine...
selon que l'on groupe ou non les caractères, et selon ces
groupements eux-mêmes, on obtient des significations
différentes !
Un vrai casse-tête chinois (je sais, elle est facile, mais je n'ai pas pu résister
!)
JVG, concluant:
Tout ceci n'a pas vraiment beaucoup d'importance, dans la mesure où tous disons peu ou prou la même chose en affirmant le contraire.
Pour mémoire, la définition de
"mot" dans le TLFI:
"Son ou groupe de sons articulés ou figurés
graphiquement, constituant
une unité porteuse de signification à laquelle est
liée, dans une langue donnée, une représentation
d'un être, d'un objet, d'un concept, etc.".
Un phonème est un mot, de même que le caractère
associé, dès lors qu'il a
(au moins) un sens. Le fait que deux phonèmes, associés
à deux caractères, dont celui-là, soient un autre
mot et aient d'autres sens n'y change rien - et
il n'existe guère de syllabes, encore moins de caractères
n'ayant, considérés
isolément, pas de sens en chinois, au contraire du
français (ni "fran"
ni "çais" ne sont des mots. Par contre, 法
en est un, comme 国 ou 法国).
Nicola, confirmant:
Maintenant je
suis d'accord! Le problème est seulement terminologique.
Zaijian,
Nicola
Et le débat cessa - du moins pour ce fil là.
MAJ 7 avril 2002/ 25 mai 2002, jvg